Jean Paul Ebruy 

  • Mémoire Ebruy

    Prédicant en Vivarais
    de 1689 à 1709

    Mémoire de ce qui s’est passé dans le Vivarais
    au Sujet de la religion.

    Papier Court – B.P.U. Genève

    Pièces d‘Archives
    Patrimoine Huguenot d‘Ardèche

  • IntroductionMÉMOIRE

    Prédicant en Vivarais

    de 1689 à 1709

    de Jean-Paul EBRUY

    moire de ce qui s’est passé dans le Vivarais
    au Sujet de la religion.

    Papier Court – B.P.U. Genève
    Pièces d‘Archives
    Patrimoine Huguenot d‘Ardèche

    Toute reproduction ou copie interdite !

    Introduction

    Patrimoine Huguenot d’Ardèche, société d’Histoire du Protestantisme Vivarois, a toujours eu le Souci d’approfondir la connaissance de l’histoire du Protestantisme en Vivarais. C’est pourquoi, il propose à ses adhérents et à toutes personnes intéressées par ce sujet le Mémoire de Jean Paul Ebruy, premier titre d’une série de documents d’archives que nous souhaitons éditer.

    Jean-Paul Ebruy est né à Ebruy ; hameau de la paroisse de Désaignes, vers les années 1668. Il devint prédicateur itinérant en Vivarais, peu de temps après la Révocation de l’édit de Nantes. Il parcourt le pays pendant vingt ans, jusqu’en 1709. Le début de son ministère correspond avec le mouvement des inspirés de 1689 qui l’a sûrement influencé. Il prophétise dans une assemblée tenue par Claude Brousson en 1697. Dans ses mémoires, l’opinion pleine de bon sens qu’il porte sur ce mouvement, a souvent été citée et utilisée par les historiens. Il s’est d’ailleurs rendu à Saou, où Isabeau Vincent avait prophétisé, pour interroger son « Maître » sur la personnalité de la prophétesse. Ayant passé en Suisse en 1709, il se marie à Genève et devient « régent d’école dans les terres de Genève » en 1729.

    Nous connaissons la situation d’abandon et de désespoir dans lequel les protestants du Languedoc étaient à la Révocation. Jean-Paul Ebruy, issu du peuple, est un de ceux qui participeront activement au réveil de la foi, au rejet de la religion imposée, et à la restauration des Eglises protestantes au Désert.

    A la demande d’Antoine Court, le synode provincial du 8 octobre 1734, réuni au Désert, en Boutières, décide :

    « ayant considéré qu’il serait très utile de faire connaître à la postérité le grand nombre de persécutions que nos pauvres Eglises ont souffert depuis la révocation de l’Edit de Nantes, enjoignons à tous les Pasteurs et Prédicateurs de notre corps d’en faire ou d’en recueillir des mémoires très exacts, qui expriment les temps, les lieux et les principales personnes qui en ont été les objets afin qu’on puisse rédiger en un corps d’histoire les choses les plus mémorables qui sont arrivées parmi nous ».

    Le témoignage d’Ebruy est demandé par Antoine Court qui est en train d’accumuler une grande quantité d’informations sur ce qui s’est passé en France après 1685. Son intention était d’écrire ce « corps d’histoire » désiré par le Synode du 8 Octobre 1734. A partir de 1731, ce projet a occupé une partie de son action et de son énergie. Il avait, au moment de sa mort, achevé seulement : « l’Histoire des troubles des Cévennes ou la Guerre des Camisards ». Sa collection d’archives constitue l’imposant « Fonds Court », conservé à la Bibliothèque Publique Universitaire de Genève ; c’est une source d’information, non encore épuisée, pour les historiens. A la fin des Mémoires d’Ebruy, Mathieu Morel dit Duvernet, étudiant à Lausanne et futur Pasteur du Désert, signe cinq pages de « Remarques » sur ce que dit Ebruy. Court peut ainsi confronter deux témoignages sur un même événement. Philippe Joutard, historien moderne, considère Antoine Court comme un historien scientifique de cette époque, le précurseur de l’histoire positiviste et érudite du XIXème siècle.

    Cet écrit que nous vous présentons, composé de 26 pages, est daté du 20 mars 1734. Les pages ont deux numérotations : celle d’Ebruy, de 1 à 27 (on passe de la page 15 à 17), celle de Court de 119 à 150; les remarques de Morel Duvernet sont paginées de 151 à 154 ; la page 155 est probablement de Court. Nous avons présenté les pages du texte en faisant apparaître la double numérotation au début de chaque page d’origine ; tel que l’a écrit Ebruy. Les corrections dans le texte, probablement de Court, sont entre parenthèses (); Celles de notre part sont entre Crochets [ ]. A la fin de chaque page, les annotations qui se trouvent dans la marge sont désignées par des astérisques*, les notes de Patrimoine Huguenot par ##. Nous avons rectifié l’orthographe et ajouté la ponctuation pour rendre le texte plus compréhensible. Les numéros dans le texte (1)(2)…… renvoient aux remarques de Patrimoine Huguenot qui se trouvent en dessous des pages d’Ebruy.

    Le Mémoire est précédé par « Ebruy, narrateur » d’Etienne Gamonnet qui étudie l’orthographe, la syntaxe et le style. Les Remarques de Patrimoine Huguenot d’Ardèche sont rédigées par Marc et Odette Autrand, Jean et Denise Bernard, Didier et Renée Picheral.

  • Sources et Bibliographie

    Sources et Bibliographie

    Archives de l’Hérault, de l’Ardèche, et Archives Nationales.

    Eugène Arnaud :Histoire des Protestants du Vivarais et du Velay T ll, Paris 1888Samuel Mours :

    Le Vivarais et le Velay protestants, Valence 1947
    Le Protestantisme en Vivarais et en Velay, Valence 1949
    Portraits Huguenots Vivarois, Musée du Désert 1948

    Philippe Joutard :

    Les Camisards, Gallimard 1976
    La légende des Camisards, Gallimard 1977Mémoire d’Ardèche
    et Temps présent :cahiers 48 et 49,
    les Mémoires d’Antoine Court, Privas novembre 1995Abbé Blanchar :Un épisode de l’histoire des Camisards dans l’Ardèche, Montbéliard 1882Registre des Synodes du Désert 1721-1793,
    déposé au Musée du Vivarais Protestant le Boushet de PranlesRécit des excès des hérétiques ou fanatiques du Vivarais en 1689, Archives Nationales TT 276 BAntoine Court :Histoire des troubles des Cévennes, Villefranche 1760Paul Bouit :Mémoire du Savel, Lamastre 1985Charles Du Besset :Le Vieux Desaignes, Gap 1955

  • Ebruy, narrateur

    Ebruy, narrateur

    Le Mémoire rédigé par Ebruy, à la demande d’Antoine Court, en 1734, « sur les affaires de la Religion en Vivarès » n’est pas l’œuvre de quelqu’un qui a l’habitude de s’exprimer par écrit. Cependant l’écriture est bien formée, facile à lire, et quand on y ajoute une ponctuation, des accents, des apostrophes, et qu’on rétablit les mots mal séparés ou mal coupés, on suit facilement le récit et le raisonnement. Court avait pris la précaution de poser des questions sur les événements importants entre la Révocation et 1709, date du départ d’Ebruy, qui suggèrent des réponses dans l’ordre chronologique.

    C’est ce que Ebruy a bien compris, et l’exposé est fort clairement ordonné sous la forme suivante, même si les formules d’introduction des chapitres sont parfois monotones. Les noms des « ministres qui succombèrent ou qui se révoltèrent », ce qui fait deux « articles ».

    (Vous me demandez) quels furent les premiers inspirés.
    Le nombre des assemblées.
    (Vous me demandez) le nom de ceux qui firent des exhortations.
    Pour les maisons qu’on a tombées en Vivarès.
    Les camisards qui étaient à Franchassis…

    (Vous me demandez) l’état des Eglises en 1709 ; avec l’équipée de Billard, Dupont, « Abram » (Mazel).

    A l’intérieur de chacun de ces « articles » les développements sont clairement introduits. Exemple pour les pasteurs qui succombèrent : Reboul de Boffres ; Durand de la Bâtie de Crussol ; j’en viens à Monsieur Audoyer ; pour M. Meissonnier… ; pour Monsieur Valette… ; un Monsieur Reboulet, etc. Il en est de même pour les inspirés, les assemblées.

    Ebruy montre d’autres qualités :

    D’abord l’abondance de l’information : il a été au courant, mais de façon précise, pendant les vingt ans de son ministère en Vivarais, de tous les événements importants, il connaît les lieux car il est passé presque partout et il s’en souvient, ce qui est remarquable puisqu’il écrit vingt cinq ans après son départ; à plusieurs reprises il s’est trouvé

    A cette abondance il ajoute la modestie et la prudence : « il pourrait y en avoir d’autres que je ne sais pas », dit-il en parlant de ceux qui « succombèrent ». De même, à propos de Jacques Duplantier, à l’occasion de l’assemblée surprise de Veye : « L’on disait qu’on lui avait donné la question en lui arrachant les ongles mais cela n’est pas sûr ». Ou encore : « une fille fut pendue à Privas dont j’ignore le nom de même que d’où elle était ». Lorsqu’il s’agit de personnes connues de son correspondant, il précise qu’il n’en dit rien parce que ce dernier en connaît plus que lui : « La connaissance que vous avez du frère du Sr. Daniel Arsac me dispensera de vous parler davantage de lui ».

    Un autre trait bien frappant, c’est l’égalité de ton avec laquelle il raconte tous ces événements : le récit qu’il fait de ses rapports avec Mazel (Abram) et Billard, par exemple, est plein d’une tranquilité d’humeur, d’une mesure rare, en particulier quand il veut essayer de les détourner d’un projet qui lui paraît être une erreur, et qui est une folie, qui va l’engager lui-même à changer sa vie, mais dont les autres affirment qu’ils y sont poussés par le Saint-Esprit. « je m’opposai à leur dessein encore mieux dans mon esprit que je ne le disais de bouche, mais des gens qui se disent être conduits et commandés par le Saint-Esprit, l’on n’a guère à leur dire ».

    Après avoir essayé de préciser l’abondance de son information et la fiabilité et la mesure avec lesquelles il la rapporte, on tâchera d’aborder quelques aspects de la langue qu’il écrit.

    Bien sûr la forme laisse quelque peu à désirer. Pour ce qui est de l’orthographe d’usage dont nombre de ses contemporains ne se souciaient pas toujours beaucoup, il ne fait pas de distinction entre -an et -en : « Contants, pansion, prandre, nécence ». Des mots tout à fait usuels sont écrits de façon erronée : « Souilliers, femmille, révotte, companion, pris pour prix, consience ». Il a tendance à mettre une initiale h aux mots qui débutent par une Voyelle ; non seulement certaines formes du verbe avoir sont enrichies d’un -h « heu, heussent », ce qui est assez répandu, peut-être à l’image des adjonctions de lettres opérés par la Renaissance pour des raisons d’étymologies latines parfois mal à propos (poids avec un -d parce qu’on le rattachait à pondus) mais aussi d’autres mots : « herreur, herrant, hignorant, haisément ». Il simplifie les consonnes redoublées : « Suplice, aporter; ou inversément : brûler, morrut, scandale ». Surtout il laisse quelques incohérences dans la forme qu’il utilise : il lui arrive, à quelques lignes d’intervalle, d’écrire « exhortation ou exortation ou exorthation, repentance ou repantence, Vivarez ou Vivarès ou Vivarays ». A peu près régulièrement sa désinence de l’imparfait à la troisième personne du pluriel est -oit. On remarquera que si l’orthographe est malmenée, la prononciation des mots n’est pas altérée.

    Tout cela ne tire pas à conséquence. Ce qui paraît plus intéressant à noter maintenant, ce sont trois traits caractéristiques de la forme qu’il utilise, à savoir: 1°- une sorte de dyslexie ou dysgraphie, surtout dans quelques mots compliqués ; 2°- des tournures tout à fait vivaroises, même après vingt ans de vie en Suisse ; 3°- une langue écrite qui est surtout l’écriture d’une langue orale.

    Sur le premier point, on citera seulement quelques exemples parmi les plus nets : il écrit « Capyphe » pour Caïphe ; « souçonp » pour soupçon ; « jusques quan fin » pour jusques enfin, vraisemblablement prononcé jusqu’ enfin ; la « relion » romaine ; « caplotique » ; « que qi » fut arrivé ; « en se retira » en Languedoc, pour : en se retirant en Languedoc. D’autres hésitations ou ratures indiquent un peu la même tendance…

    Deuxièmement, même s’il est depuis longtemps en Suisse, quand il écrit, et peut-être justement parce qu’il va raconter sa vie d’autrefois en Vivarais, on retrouve sous sa plume les tournures et les accents qu’il n’a pas perdus. Quelques mots peuvent être retenus : « recontrer » pour rencontrer ; la difficulté de prononcer certaines consonnes : il « ajura », « ajuration », pour abjuration, « Espandou » pour Spandau ? ; comme tous les campagnards de l’époque (même Pierre Durand, jeune) il emploie il pour elle, « sa femme fut conduite à Saumière où il a resté » ; il pour ils ou elles : « il répondirent qu’il ne vouloit point se retires, qu’il vouloit prier Dieu ». Le pronom personnel sujet est souvent omis, (il n’existe pas en patois vivarois) : « Pour Monsieur X…, ne se contenta pas » et « elles se sont retirées à Genève où je les ai vues et m’ont dit ». Il ne s’est pas réconcilié avec les relatifs qui lui donnent bien de la peine, d’accord en cela avec la conjonction « que » : « On n’a jamais ouï dire qui aye persécuté la religion ;..on craignait qui mourût;. Sur des peignes qu’on se sert à peigner le chanvre ». Il dispose d’un relatif: « dont », qu’il écrit « donc », utile dans toutes sortes de circonstances. Beaucoup de difficultés aussi avec « en » quand il se rencontre avec la négation car « nen », ou « nan » peut aussi être positif.

    On pourrait allonger cette liste qui montre qu’Ebruy est un bon Vivarois, en n’oubliant pas toutefois que certaines de ses expressions ne sont pas seulement Vivaroises mais méridionales. En voici encore quelques unes qu’on entend tous les jours :

    « toujours, nous pouvons dire » = entous cas…
    Le commandant « leur envoya de se retirer » =. leur fit donner l’ordre de…
    Les maisons « qu’on a tombées » = qu’on a abattues
    « s’informer touchant la religion » = s’informer sur…
    Du depuis = depuis lors

    Le régent d’école qu’Ebruy était devenu enseignait peut-être le Français et les mathématiques comme Durand et Rouvier, jeunes, en Suisse, mais sans doute aussi un peu de Vivarois.

    Troisièmement, à propos du caractère plutôt oral du langage d’Ebruy, on pourrait reprendre une bonne partie des remarques faites ci-dessus, en particulier sur la rectitude phonétique des mots mal orthographiés, mais, de plus, c’est la phrase elle-même qui appartient à quelqu’un qui parle plutôt qu’à quelqu’un qui écrit.

    Voici un passage, parmi les plus notables, tel qu’il est écrit : « Claude Mayre dit Cocadon qui avait aussi fait des exhortations pendant plusieurs années sans avoir jamais fait aucun scandale sa naissance estoit du côté de la Bâtie de Crussol c’estoit un homme fort et plein de courage aussi voulu se défendre mais craignant la désolation de ceste maison tachoit de sortir sans faire aucun déxordre demandant passage aux soldats lesquels le voyant en état et résolu de se défendre ayant des armes en main lui donnèrent tous passage jusqu’à ce qu’il parvint au dernier sentinelle posé à la petite porte de la basse-court luy demanda aussy passage il ajouta même que les autres le luy avoit donné mais se trouvant plus de courage ou du moins plus téméraire voulu le saisir et le dit Mayre luy porta un coup d’une petite bayaunete qu’il avoit en la main et le tua sur place, mais comme les autres qui luy avoit ouvert le passage ne laissait pas de le suyvre avec fureur bien qu’ils ne l’ausassent pas saisir et dans le temps qu’il estoit aux prises avec celuy qu’il tua un luy porta un coup de crosse de fusy sur la tête et cela l’ayant étourdi on le saisy… »

    Le récit se poursuit avec la même abondance de détails, les circonstances reviennent à l’esprit du narrateur et s’introduisent dans le développement sans une construction grammaticale bien précise, mais avec une vie incomparable. On imagine bien Ebruy, à l’époque où il prêchait en Vivarais, s’enflammant par moments, racontant d’abondance et peut-être sans notes, vibrant de souvenirs et subjuguant ainsi son auditoire. Des phrases comme celles-là paraissent confuses lorsqu’elles sont écrites, mais, dites devant une foule, avec les variations de timbre, de hauteur, d’intensité de la voix, avec les silences, les hésitations même, elles devaient atteindre à une grande clarté, une grande intensité et une grande émotio

    Il n’est pas étonnant que cet homme ait pu rassembler pendant plus de vingt ans des assemblées importantes. « Nous étions fort tranquilles, nous faisions des assemblées de deux, trois, quatre cents à plein jour quoique nous ne laissions pas d’user de prudence autant qu’il dépendait de nous ».

    Etienne Gamonnet

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